les cahiers de doléances et la Révolution de 1789

Selon Duruy, Histoire de France, II, page 467:

"On avait dit longtemps que le Tiers payait de ses biens, la Noblesse de son sang, le Clergé de ses prières. Or le Clergé de cour et de salon ne priait guère, , la Noblesse ne formait plus seule l'armée royale, mais le Tiers était resté fidèle à ses fonctions dans l'Etat: il payait toujours , et chaque année davantage.Puisque sa bourse était le trésor commun, il était inévitable que plus la monarchie deviendrait dépensière, plus elle se mettrait dans la dépendance de la bourgeoisie, et qu'un moment arriverait où, lassée de payer, celle-ci demanderait des comptes.Ce jour-là s'appelle la Révolution de 1789."

 À la fin du 18ème  siècle, la société française évolue : l'ancienne organisation est de plus en plus contestée. Les philosophes des Lumières remettent en cause les principes de l'Ancien Régime. Surtout, le mécontentement est général. La récolte de 1788 a été en partie détruite par la grêle et les orages. Le prix du pain augmente, ce qui rend d'autant plus insupportables les impôts et les droits seigneuriaux qui pèsent sur les masses populaires.

  • La France connaît par ailleurs une grave crise financière. Le budget de l'État est largement déficitaire et le service de la dette représente plus de 50 % des dépenses. Les impôts directs rapportent peu car le clergé et la noblesse n'y sont pas astreints, en vertu de leurs privilèges. Pour résoudre cette crise, les ministres de Louis XVI cherchent à étendre l'impôt direct aux trois ordres. Mais les parlements chargés d'enregistrer les édits royaux refusent d'entériner cette réforme.
  • En mai 1788, la crise devient politique. Le roi décide de réduire les pouvoirs des parlements, qui aussitôt se révoltent. Le roi convoque alors les états généraux du royaume (l'assemblée des trois ordres, clergé, noblesse et tiers état). À la demande du roi, chaque ordre rédige des cahiers de doléances (où sont consignés les souhaits de chacun) et élit ses députés.

Les cahiers de doléances ont été rédigés à la suite de l'ordonnance royale du 24 janvier 1789, par la Noblesse, le Clergé et le Tiers-État, pour servir à l'assemblée des États généraux convoqués par Louis XVI, le 1er mai 1789. Ils contiennent les plaintes et les voeux des populations que doivent présenter les députés élus aux États généraux. Pour le Tiers état, les opérations se sont déroulées en trois temps donnant lieu, à chaque étape, à la rédaction d'un cahier : cahiers des villes, paroisses, communautés de métiers de l'assemblée préliminaire, cahiers des bailliages secondaires, cahier du bailliage principal. Les cahiers de doléances sont accompagnés des procès-verbaux d'élection des députés et des pouvoirs qui leur sont conférés.

En 1789, tous les cahiers accordent leur confiance au roi Louis XVI pour réformer le royaume. Quasiment tous condamnent la monarchie absolue. Mais les cahiers du tiers-état revendiquent l'égalité d'accès aux fonctions publiques, l'égalité fiscale, le vote de l'impôt par les représentants élus de la population.

  • Les cahiers du tiers état ont surtout été rédigés par et pour la bourgeoisie. Sans grande surprise, ils s'attaquent aux privilèges — surtout fiscaux — détenus par les deux premiers ordres, clergé et noblesse. Ils demandent souvent à ce que la représentation du tiers état aux états généraux soit doublée et le vote effectué par tête : on votait en effet par ordre, et l'addition des voix du clergé et de la noblesse pouvait bloquer toute tentative de réforme ; la revendication d'une meilleure représentation du tiers état et du vote par tête était donc stratégique ! Le tiers état demande également l'abolition des signes anciens de la féodalité (droits seigneuriaux tels les droits de chasse, de pêche, les banalités, les corvées), de la dîme versée au clergé et de l'empilement invraisemblable des taxes et impôts royaux (taille, capitation, vingtièmes, traites, aides). En retour, un nouveau système fiscal est bien souvent proposé, portant indistinctement sur les citoyens des trois ordres.

Dans le Pas-de-Calais, c’est courant mars 1789, que l’on s’est assemblé dans toutes les paroisses, pour rédiger les doléances et élire les délégués aux assemblées des bailliages secondaires. Au total, un peu moins de 3 000 délégués eurent à cœur d’ordonner, de trier, parfois d’expurger les revendications des populations du futur département.

De nos jours il subsiste 261 cahiers de communautés d’habitants sur les 950 assemblées de villes et de villages dont la très grande majorité sont conservés aux archives départementales sous la cote 2 B 881 à 884 pour la gouvernance d’Arras et 9 B 54 pour la sénéchaussée du Boulonnais. La quasi-totalité des cahiers a été publiée par Henri Loriquet en 1897. Un florilège a également été édité en 1989 par Jean-Pierre Jessenne et Dominique Rosselle.

Les cahiers de doléances ont fait l’objet d’une campagne de numérisation et sont aujourd’hui accessibles sur le site internet.des Archives Départementales

Accéder aux cahiers de doléances du Pas-de-Calais

Historique de conservation :

Collection des cahiers de doléances conservés dans les séries B, E-DÉPÔT et J des archives départementales du Pas-de-Calais.

Références bibliographiques :

Loriquet Henri, Cahiers de doléances de 1789 dans le département du Pas-de-Calais, Arras, Impr. de Répéssé-Crépal et Cie, 1891.

Nom de lieu :

Artois (Pas-de-Calais, France ; région)

Archives départementales du Pas-de-Calais

Les cahiers de doléances de Sailly-au-Bois , tels qu'ils ont été rédigés

Cahier des demandes, plaintes de doléances de la paroisse de Sailly-au-Bois, parties de l’Artois.

« Nous soussignés, habitants de laditte paroisse, demandons aux prochain Etats -Généraux avec confiance de la justice et bonté paternelle du Roy :

  1. Comme Français ils déclarent qu’ils veulent et entendent que la couronne soit maintenue à jamais dans la Maison régnante , et que, dans le cas imprévus que le trône devrait être occupé par un mineur, la Nation se trouve convoquée de droit pour régler et disposer la tutelle et régence.
  2. Que la religion catholique, apostolique et romaine soit toujours la dominante.
  3. Que tous les impôts et charges public soient suportés dans la juste proportion de la fortune et consommation de chaque individus , sans aucunes distinctions d’Ordres ni exemptions pécuniaire quelconques.
  4. Que la multiciplitée des justices est ruineuses et abusives ; on en demande la réformation pour n’avoir tout au plus que trois degrés de juridictions et obtenir arrêt définitif dans notre province dans l’année.
  5. On demande un nouveau Code de loi qui puisse rendre la justice expéditive et corriger la chicane.
  6. Que les constructions et réparations des églises ,cœurs, maisons et presbitaires soient à la charge de décimateurs. Et que l’administration des sacrements , baptêmes, mariages et sépultures soient faite gratis, attendus que l’on paye la dîmes pour remplir tous ses objets.
  7. Que les chemins vicontier soient bien déterminés ; et que la plantation soit en faveur des riverains , attendus qu’ils en soufrent l’intérêts pendant le tems de la croissance des arbres.
  8. 8.Que les lapins , comme gibiers destructeurs et nuisible aux cultivateurs , soient détruits par toutes personnes indistinctement.
  9. Que les impôts réels etr personnels soient simplifiés, clairs et bien entendus, pour éviter les gênes et concusions.
  10. Que le fiefs en successions roturière soient partagés entre tous les héritiers également. Que les droits de francs-fiefs en successions n’aient pas lieu en Artois .
  11. Nous demandons qu’à l’assemblée générale de la province il ne soit nommée aucun représentant d’aucun des Ordres qui ne soit résidant et domicilié en Artois.Ils leur ordonnent expressément de faire rétablir dans son entier l’ancien droit de la province qui est que personnes ne puisse être appelée à l’administration qui ne soit Artésien et domicilié en Artois.
  12. Nous demandons que dans les trois lieues limitrophes ils soient déchargés d’être assujettie aux certificats pour leur approvisionemens de sel et de tabac.
  13. Nous demandons que dans les chemins royaux ils y soient établie des barières et péages , pour que l’entretien  en soit payé par ceux qui en profite.Nous demandons que le droit de terrages, qui se paye en nature et qui souvent occasionne des grands embarras et quelques fois perte aux cultivateurs, soit convertie en censives. 
  14. Nous demandons expressément que les questions cy-dessus soient vues et examinées par l’assemblée générale avant de passer à la question de l’imposition sur laquelle ils ne donnent à leurs députés aucuns autre pouvoir que de consentir, pour un tems limité sur la durée duquel l’assemblée générale prononcera, à la même quotité d’impôts qu’ils paient actuellement , ne se sentent pas lesdits habitans la force d’en supporter davantage et espérant même que la cotité actuelle ne sera que pour un tems très court.
  15. Et enfin les députés de cette paroisse et des campagne pourvoiront à ce que les habitans des villes n’établissent aucun octroi ou imPosition quelconques qui puisse devenir à charge aux habitans des campagnes ;et ils donnent un pouvoir spécial à leurs députés pour demander le redressement de tous les tors que les villes font aux  campagnes et pour les en défendre à l’avenir.

Ainsi faite et arrêté par nous habitans de laditte paroisse sous-signés, le vingt trois mars mil sept cens quatre-vingt-neuf :

Cornet, Andrieu, Tétart, Baillieux, Catilloy, Delambre,Masclef,Beaufils,Graire , Leclercq. »

Archives départementales B.884 21, Ms.in-f° ; 3 feuillets

  • 1789 : la révolte du tiers état
  • En mai 1789, les états généraux se réunissent à Versailles. Les espérances du tiers état sont bientôt déçues : le roi n'entend pas réformer le royaume mais simplement lever un nouvel impôt. Soutenu par certains nobles libéraux, le tiers état se proclame « Assemblée nationale » et décide de préparer une Constitution pour le royaume : c'est le serment du Jeu de paume.
  • Dans un premier temps, Louis XVI laisse faire. Mais les rumeurs vont bon train, le renvoi du ministre Necker, qui jouit d'une grande popularité, et le rassemblement de 30 000 soldats autour de la capitale inquiètent le peuple parisien.
  • Le 12 juillet, une partie du peuple parisien se procure des armes, sous le contrôle de la bourgeoisie qui élit une municipalité parisienne et se dote d'une milice : la Garde nationale. Le 14, le prix du blé atteint un nouveau sommet : artisans et boutiquiers s'emparent de fusils et de canons aux invalides puis prennent la forteresse de la Bastille, prison d'État symbole de l'arbitraire du pouvoir royal : on y est envoyé sans procès (une lettre du roi, dite « lettre de cachet », suffit).

Dans les campagnes, les nouvelles de la capitale arrivent très déformées, déclenchant une « émotion », c'est-à-dire une peur collective irraisonnée : les paysans, effrayés par d'imaginaires brigands, se retournent contre la noblesse et détruisent des châteaux : c'est la Grande Peur. Pour ramener le calme, la noblesse, le clergé, les villes et les provinces renoncent à leurs privilèges dans la nuit du 4 août 1789. Juridiquement, c'est la fin de l'Ancien Régime.
L'Assemblée vote la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen qui fixe de nouveaux principes : liberté, égalité des droits, propriété, souveraineté de la Nation. Le 5 octobre 1789, pour obtenir du pain, forcer le roi à accepter les changements, et aussi se prémunir contre une intervention armée, les Parisiennes conduisent le souverain du château de Versailles à celui des Tuileries, à Paris, où il sert plus ou moins consciemment d'otage.

  • 1790 : conciliation et affrontement
  • L'Assemblée nationale met en place des mesures économiques. La bourgeoisie impose des lois libérales. Les douanes intérieures sont abolies pour faciliter les échanges. La loi Le Chapelier interdit les associations d'ouvriers ou de patrons. Ces transformations s'accompagnent de vives discussions politiques, à Paris et en province, dans des clubs où l'on débat des changements et des projets de l'Assemblée.
  • En 1790, tous les Français ne sont pas satisfaits de ces mesures. Les militants du petit peuple, les « sans-culottes », veulent que l'on plafonne le prix du pain : c'est le « maximum ». Les troupes souhaitent également des réformes. De nombreux nobles, apeurés, fuient à l'étranger et cherchent à rétablir la situation d'avant 1789 : ce sont les « émigrés ».

Les biens de l'Église sont nationalisés, les prêtres deviennent des fonctionnaires payés par l'État qui doivent prêter serment à la Constitution. Le pape s'oppose à cette réforme ; le clergé se divise entre prêtres « jureurs » et ceux qui refusent de prêter serment, appelés « réfractaires ».

Le 14 juillet 1790, la fête de la Fédération célèbre l'unité nationale retrouvée (et accessoirement la prise de la Bastille). Mais l'unité nationale n'est pas réelle. Bien des réformes sont encore nécessaires.